Mattéo deuxième époque: Le meilleur Gibrat ?
Un pitch: 1917. Toujours déserteur, revenu clandestinement d'Espagne où il s'était réfugié, Mattéo passe à Collioure embrasser sa mère. Nous sommes le 1er août, jour anniversaire de la mort de son père. Le soir même, il revoit Juliette, qu'il tente en vain d'emmener avec lui. Tendre soirée désespérante sur la plage.
Le lendemain, Mattéo, accompagné de Gervasio, l'ami de son père, embarquent pour Petrograd. Après trois de mer, les deux amis, en mission d'exploration pour le compte des anarchistes espagnols, sont au cœur même de la révolution qui s'embrase. C'est chez Amanda, la sœur de Gervasio, qu'ils se rendent. Mais en fait, elle et son mari sont en train de déménager « à la cloche de bois », pour fuir les diables rouges ! C'est donc Dimitri, leur fils, un anarchiste libertaire et sa bande, qui leur souhaitent une bienvenue braillarde et soviétique, à coups généreux de vodka. Très vite, ils se voient confier des missions. Mattéo, celle d'immortaliser la révolution de l'espoir grâce à l'appareil photo offert par la section anarchiste espagnole ; Gervasio celle de cuistot au comité du quartier.
Mattéo sillonne la ville : « à Petrograd, on ne mourrait pas que de froid, ça dérouillait », et ses convictions politiques, ses idées humanistes, ses espoirs en prennent un sale coup. Il fait des portraits de « pauvres types qui puent la misère », supposés être contre la révolution, et donc coupables, mais il trouve qu'ils ne ressemblent guère à l'image qu'il se faisait de « la noblesse russe pétant dans la soie depuis Pierre Le Grand ». Il est écœuré. C'est pour lui, le début des doutes, des interrogations complexes, des compromissions inévitables...
Mon avis: J'ai découvert le travail de Jean-Pierre Gibrat il y a six ans lors d'une exposition à la Galerie Daniel Maghen. Le Monsieur est génial, drôle, sympathique à souhait et son travail est je trouve totalement bluffant. Nous étions allés déjeuner avec André Juillard et les copains de la Galerie, un moment savoureux, inscrit dans ma mémoire. Pour les prémices de l'aventure Mattéo, j'avais emmené Jean-Pierre sur mes terres Lorraines, nous étions allés à Fleury sous Douaumont, là ou des milliers d'hommes étaient tombés pour la France et l'Allemagne. (le lien: http://www.unmondedebulles.com/ext/http://www.publicsenat.fr/cms/video-a-la-demande/vod.html?idE=60064) , nous avions évoqué l'histoire de l'espagnol Mattéo, cet émigré a qui on ne demande pas de faire la guerre. Mais Mattéo va quand même y aller, il veut être comme tous ces français et ses copains malgré l'absurdité et l'horreur de la guerre. Ce premier opus était une mise en place de cette série en quatre tomes, Mattéo, sa maman, ses amours, ses amis.
Malgré la longue attente du tome 2, on est sidéré par les qualités narratives, scénaristiques et picturales de Jean-Pierre Gibrat. Cet album est un condensé de talent, la pierre n'est plus brute depuis longtemps au pays de Gibrat, ses sculptures humaines sont d'un réalisme fascinant, il s'en dégage un sentiment d'une noblesse rare, nous sommes en Russie, nous le vivons à fleur de cornée, ses couleurs, ses perspectives, sa mise en scène est jubilatoire. Je pense encore à une discussion que j'ai eu il y a quelques jours ou mon interlocuteur me disait que cette année il n'y avait pas eu d'albums marquant...., on ne doit pas vivre dans le même monde. Certes je suis grand public, j'aime l'émotion quand elle est simple et belle, avec Gibrat je suis servi, ce second tome de mattéo est pour moi son album le plus abouti.